Face aux craintes de pénuries de gaz, l’Europe cherche son salut en Afrique
Inquiétée par l’arrêt des livraisons de gaz par la Russie, les pays européens cherchent de nouvelles alternatives. Et l’Afrique constitue l’une des pistes les plus sérieuses. Déjà bien avancée dans ce sens, l’Italie a déjà réussi à réduire sa dépendance du gaz russe.
Alors que les dirigeants africains, dont le président sénégalais et président en exercice de l’Union africaine (UA), Macky Sall, critiquaient avant le déclenchement de la crise en Ukraine la volonté des pays occidentaux d’arrêter les investissements dans les énergies fossiles en annonçant mettre l’accent sur les énergies renouvelables, la guerre en Ukraine est venue chambouler les calculs de ceux-ci. Désormais, les centrales à charbon et nucléaires fermées ou en cours de fermeture ont été réouvertes afin d’atténuer la crise énergétique à laquelle l’Europe fait face suite à sa décision d’interdire l’importation du pétrole de la Russie et la décision de cette dernière de jouer à fond la carte gazière dans ses relations avec l’Union européenne (UE) selon le360.ma.
Ainsi, craignant une pénurie de gaz durant l’hiver prochain, les pays européens cherchent rapidement des alternatives au gaz russe au Moyen-Orient, mais aussi en Afrique.
Seulement, notre continent occupe une place peu importante sur le marché européen du gaz. L’Afrique fournit à peine un peu plus de 21% du gaz consommé en Europe, grâce essentiellement à l’Algérie, mais aussi de la Libye, du Nigeria, de l’Egypte… Pour autant, l’Europe porte de grands espoirs envers le continent dont il commençait à snober les importants gisements au nom du souci écologique. Toutefois, la crise en Ukraine et les craintes d’un hivers sans gaz russe ont rebattu les cartes, et l’Afrique est désormais au cœur des intérêts géostratégiques de l’Europe.
Parmi les pays les plus dynamiques à cet égard figure l’Italie avec son opérateur pétrolier ENI. Important environ 95% de ses besoins en gaz, qui représente plus de 40% de sa consommation énergétique, ce pays s’est lancé rapidement dans la recherche de ressources alternatives au gaz russe en misant sur l’Afrique. Et le gaz algérien a été ciblé en priorité. Premier importateur européen et premier client du gaz algérien, l’Italie a profité des tensions entre le pays maghrébin et l’Espagne pour négocier une forte augmentation de la quantité de gaz en provenance de son partenaire algérien.
Cette augmentation s’est faite au détriment de l’Espagne, dont les quantités de gaz livrées sont en constante baisse. L’Algérie s’est engagée à livrer 9 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires à l’Italie d’ici 2024, ce qui devrait porter à plus de 30 milliards de mètres cubes la quantité de gaz qu’Alger livrera annuellement à Rome à cette date. Or, en tenant compte des contrats signés avec d’autres partenaires dont l’Espagne, l’Algérie ne devrait disposer que de 3 à 4 milliards de mètres cubes supplémentaires dans le court terme. Pour espérer pouvoir augmenter sa production et répondre aux besoins de son client, elle doit investir dans de nouveaux champs gaziers.
Dans cette optique, l’opérateur italien ENI, déjà très présent en Afrique, investit à fond avec l’opérateur algérien Sonatrach pour l’exploitation de nouveaux gisements gaziers à même de garantir un approvisionnement durable et en quantité suffisante en gaz algérien dans les années à venir et atténuer l’impact de la dépendance du pays du gaz russe.
Outre l’Algérie, l’Italie a aussi signé des accords avec l’Egypte, l’Angola, le Congo et le Mozambique. Au Congo, ENI va augmenter sa production de gaz, selon les révélations de son PDG, Claudio Descalzi, à l’issue d’un entretien avec le président Denis Sassou N’Guesso le 2 août 2022. Un accord a été signé entre le pétrolier italien et les autorités congolaises pour l’exportation du gaz à partir du 4e trimestre de 2023 avec la possibilité pour le Congo d’exporter près de 4,5 milliards de mètres cubes de gaz par an.
ENI est également prêt à livrer ses premières cargaisons de GNL mozambicain au second semestre 2022, ajoutant le Mozambique parmi les pays producteurs de GNL. L’installation par l’opérateur italien de la plateforme FLNG Coral-Sul dotée d’une capacité de liquéfaction de gaz de 3,4 millions de tonnes par an (Mtpa) lui permettra d’approvisionner davantage le marché européen.
Toutefois, hormis l’Algérie, l’Italie n’est reliée à aucun pays africain par gazoduc. L’approvisionnement en provenance des pays d’Afrique centrale, australe et de l’Est se fera donc sous forme de GNL. Ce qui suppose un coût plus cher du fait des coûts de transport. A cela s’ajoute le fait que l’Italie, contrairement à des pays comme l’Espagne, le Royaume-Uni et la France, ne dispose pas d’importantes infrastructures de regazéification du gaz importé sous forme de GNL. Le pays doit par conséquent investir massivement dans les infrastructures et payer le gaz beaucoup plus cher que celui importé de la Russie via le gazoduc et des contrats à long terme.
L’Italie dépendait à hauteur de 40% du gaz russe avant le déclenchement du conflit en Ukraine. Elle importait de ce pays 29 milliards de mètres cubes de gaz par an. Toutefois, grâce à la diversification de ses sources d’approvisionnement, elle est arrivée à réduire cette dépendance à désormais 25%. Elle envisage même de se passer du gaz russe d’ici l’été 2023, tablant particulièrement sur l’apport de ses partenariats signés avec les pays africains.
Rome n’est pas la seule à chercher des alternatives en Afrique. L’Allemagne, aussi cherche à diversifier et sécuriser ses sources d’approvisionnement. Plus de 55% des besoins en gaz de la première puissance économique de l’UE était assurée par la Russie. Mais suite au déclenchement de la crise en Ukraine et des sanctions prises à l’encontre de Moscou, l’Allemagne a réussi à réduire sa dépendance du gaz russe à 35% actuellement en augmentant ses importations en provenance de la Norvège et des Pays-Bas.
Et pour mieux sécuriser ses sources d’approvisionnement dans les années à venir, l’Allemagne aussi se tourne vers l’Afrique. Le chancelier allemand, Olaf Scholz, avait annoncé en juin dernier, lors d’une visite officielle, que son pays est «en discussions intensives» avec le Sénégal pour participer à des projets autour des ressources en gaz du pays ouest-africain.
Il faut dire le dirigeant allemand lorgne le gaz mauritano-sénégalais dont l’exploitation doit être entamée en début 2023. Le gisement Grand Tortue Ahmeyin (GTA), à cheval sur la frontière maritime entre la Mauritanie et le Sénégal, devrait démarrer avec une production de 2,5 millions de tonnes de GNL par an, avant de monter à 10 millions de tonnes à l’horizon 2026. Les ressources récupérables de ce champ étant estimées entre 420 et 560 milliards de mètres cubes de gaz naturel. Outre le GTA, le Sénégal dispose d’un autre champ de gaz naturel, baptisé Teranga et qui devrait entrer en exploitation entre 2023 et 2024 avec une production d’environ 20 billions de pieds cubes de gaz naturel.
«Nous sommes prêts, nous Sénégal en tout cas, à travailler dans une perspective d’alimenter le marché européen en GNL», avait souligné le président sénégalais Macky Sall en marge de la visite du responsable allemand. Seulement, non reliée par des gazoducs avec les pays africains, l’Allemagne doit investir dans des infrastructures de regazéification du GNL et supporter des coûts d’achat de gaz beaucoup plus élevés que celui fourni jusqu’à présent via les gazoducs russes.
Un autre pays européen misant sur l’Afrique pour ses besoins en gaz est l’Espagne, qui importe une bonne partie de son gaz de l’Algérie, du Nigeria, de la Guinée équatoriale et de l’Angola, même si elle dépend plus aujourd’hui des importations de gaz de schiste américain.
Si les pays européens se tournent aujourd’hui vers l’Afrique, c’est que les perspectives de production semblent très prometteuses au niveau du continent. Parmi les meilleures, figure le Mozambique dont d’autres grands gisements offshores seront mis en exploitation à l’horizon 2026. Le président italien Sergio Mattarella s’est d’ailleurs rendu début juillet à Maputo pour y rencontrer son homologue Filipe Nyusi, pour des discussions centrées sur l’exploitation et la fourniture en gaz.
Outre le Mozambique, le Nigeria aussi est un producteur de gaz en plein essor. Bien que figurant dans le top 10 des pays disposant des plus grandes réserves de gaz du monde, le Nigeria n’a jusqu’à présent pas exploité à fond son potentiel gazier. Avec des réserves estimées à 5.300 milliards de mètres cubes de gaz, le pays pourrait dans les années à venir devenir un important livreur de gaz au marché européen, surtout si le gazoduc transsaharien et le gazoduc Nigeria-Maroc venaient à voir le jour.