Prix du pétrole : à quoi faut-il s’attendre en 2020 ?
Après avoir franchi la barre des 70 dollars le baril en début d’année en raison de l’escalade des tensions entre Washington et Téhéran laissant craindre une envolée durable des prix, les cours de pétrole stagnent ces derniers jours à 65 dollars le baril. Bref, le scénario d’un éventuel choc pétrolier, c’est-à-dire d’une augmentation rapide des prix de l’or noir sur une très courte période – s’éloigne et on s’oriente vers une stabilisation des prix. Pour l’instant.
Risques géopolitiques
Certes, le blocage des principaux terminaux pétroliers de l’est du territoire libyen ont légèrement poussé les marchés à la hausse en début de semaine. Ainsi, le baril de Brent de la mer du Nord pour livraison en mars, référence européenne, gagnait 0,26% à 65,03 dollars lundi.
Mais la crainte d’un embrasement au Moyen-Orient semble être déjà retombée. «Après l’attaque de drone qui a tué le général iranien Soleimani début janvier, les marchés semblent avoir intégré le fait que pour le moment les tensions sont redescendues entre les Etats-Unis et l’Iran», observe Francis Perrin, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), interrogé par Boursorama.
Toutefois des interrogations demeurent, insiste le chercheur «si une guerre éclate véritablement entre les deux pays, l’impact sur les prix sera extrêmement important». De plus, le scénario de nouvelles attaques d’installations de firmes américaines au Moyen-Orient n’est pas à exclure. Mais pour l’heure, les marchés réagissent de façon rationnelle aux tensions géopolitiques car elles n’ont pas eu d’impact sur la production. Bref, les prix se stabilisent autour de leurs niveaux actuels.
Si les regards se tournent principalement du côté des soubresauts au Moyen-Orient, les cours ont aussi été largement influencés ces derniers mois par les rapports tendus entre Pékin et Washington et sur les perspectives de croissance au niveau mondial. «La guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis a soulevé des interrogations et a fait craindre un ralentissement de la demande et de la consommation mondiale», rappelle à Boursorama Benjamin Louvet, gérant matières premières chez OFI Asset Management.
Dans un second temps, il faut tenir compte d’un impact plus conjoncturel sur les cours. «On entre dans la saison d’hiver et c’est à cette période qu’on a plutôt tendance à constater une baisse de la demande, le pic de la consommation se situe en effet plutôt au cours de l’été, notamment dans les pays du Moyen Orient qui ont recours à la climatisation. Tout cela participe à un déséquilibre entre l’offre et la demande», poursuit le gérant.
Le pétrole de schiste américain à bout de souffle ?
Ces dernières années, l’offensive du pétrole de schiste américain a considérablement déstabilisé le marché. Au point de contraindre l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), et principalement son chef de file, l’Arabie saoudite son chef de file à revoir sa copie. Pour rappel, depuis trois ans maintenant, le cartel encadre sa production de pétrole afin de rééquilibrer le marché face à l’essor du pétrole de schiste américain et de soutenir les prix. Lors de leur dernière réunion le 6 décembre, l’Opep et ses alliés se sont entendus sur une nouvelle baisse de la production de 500.000 barils par jour (de -1,2 à -1,7 million de barils, mbj) pour le premier trimestre 2020, avant de décider de la suite à donner lors de leur réunion du 6 mars.
Néanmoins, après avoir inondé le marché, les pétroliers de schiste font d’une certaine manière face à la lassitude des investisseurs et sont aussi contraints de revoir leurs ambitions à la baisse. «Globalement, la production de pétrole de schiste serait 15% moins élevée que ce qui était prévu, du fait des difficultés rencontrées. A présent, les pétroliers de schiste sont contraints de réduire leur rythme : ils manquent désormais de financements et ont été incapables de générer des free cash-flows», note Benjamin Louvet. Le cabinet IHS Markit a d’ailleurs revu à la baisse ses chiffres de croissance. Il n’évoque plus que 400.000 barils par jour de croissance de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis pour 2020 et 0 en 2021. Pour rappel, les pétroliers doivent en permanence forer de nouveaux puits pour maintenir leurs extractions car la production d’un puits de pétrole non conventionnel décline très rapidement. Bef, sans investissements, le niveau de rendement devra nécesairement être revu à la baisse.
En outre, l’industrie du pétrole non conventionnel va devoir tenir compte de la problématique environnementale de plus en plus présente chez les investisseurs, insiste Benjamin Louvet. «En effet, le torchage excessif des gaz de schiste (une grande partie du gaz extrait en même temps que le pétrole est brûlé), source de rejet massif de gaz à effet de serre, va devenir un vrai problème». Les pétroliers devront tenir compte de l’incitation à investir dans des secteurs dit propres, et donc d’investir forcément moins dans le pétrole.
Investissements dans l’amont pétrolier versus croissance mondiale
Dans ce contexte, et malgré les déclarations des grandes puissances de réduire leur recours aux énergies fossiles, la demande de pétrole continue de croitre. L’organisation des pays exportateurs de pétrole a d’ailleurs revu à la hausse ses estimations et pense désormais que la croissance de la demande atteindra 1,22 million de barils par jour (mbj) cette année par rapport à 2019, soit une révision en hausse de 0,14 mbj.
Dans son rapport annuel sur les perspectives de marché d’ici à 2040, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) mise de son côté sur une augmentation de la demande d’environ un million de barils par jour (bpj) en moyenne chaque année jusqu’en 2025, contre 97 millions de bpj sur l’année 2018.
Mais cette hausse de la demande a-t-elle suffisamment anticipée par les acteurs du pétrole conventionnel ? En février 2018, Patrick Pouyanné, PDG de Total expliquait que les « les grands investissements de l’industrie ” oil & gas ” n’ont pas encore repris. On est autour de 400 milliards de dollars dans l’exploration-production, contre plus de 750 milliards au pic de 2014. Après 2020, on risque de manquer de pétrole.» *
Depuis, les investissements dans l’amont pétrolier sont repartis à la hausse (les grandes compagnies pétrolières d’investir près de 5.000 milliards de dollars dans l’exploration) mais “ils nécessitent du temps”, tempère Benjamin Louvet. Et dans un contexte de baisse des d’investissements dans le pétrole de schiste, il pourrait être compliqué de faire face à la demande mondiale de pétrole à venir. Ce qui pourrait provoquer une tension sur les prix…
Sarah Belhadi
Boursorala.com